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À KOLOMEA.

— Vous aimer, répéta-t-elle souriante.

— Pourquoi pas ? demanda gravement Igar.

— Quel ton solennel ! bâilla Aldona. Quant à moi, je ne puis entendre parler d’amour sans être prise d’un fou rire.

Dès qu’un homme, possédât-il au plus haut point le don de me captiver, s’imagine être amoureux de moi, il me devient insupportable.

— Cette déclaration me dit d’espérer.

— Comment cela ?

— Votre haine, madame, s’écria Igar, me prouve que vous vous éprendrez de moi aussitôt que je vous aurai fait l’aveu de mon amour. »

La jolie femme éclata de rire :

« C’est bien vrai, dites, que vous m’aimez ?

— Oui, Aldona. Je vous aime, quelque invraisemblable que cela puisse vous paraître, avec vos grands défauts et vos légers vices. Je vous aime — un peu malgré moi, cependant

— Je veux le croire, dit Aldona devenue subitement sérieuse. »

Elle jeta sa cigarette dans la cheminée et se souleva à demi :

« Mais savez-vous que vous êtes peu galant ? Un tel aveu doit se faire à genoux. »

Elle n’avait pas achevé ces mots qu’Igar se courbait à ses pieds.

Alors elle l’examina un instant avec stupeur, et partit d’un nouvel éclat de rire.

« En vérité, vous êtes aussi ridicule que les autres, » s’écria-t-elle.

Brusquement Igar se redressa. Il s’inclina sans parler, et quitta la chambre.