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À KOLOMEA.

ment large et élevé, sans ornements, derrière lequel s’étendaient de vastes dépendances.

Si quelque passant, poussé par la curiosité, eût regardé à l’une des fenêtres du rez-de-chaussée, il aurait vu les domestiques, vêtus pour la plupart du costume petit-russien, assis en cercle sous les images des saints qui tapissaient les murailles, le cocher et le valet de chambre jouant aux cartes, et la vieille nourrice de la baronne actuelle, délectant les jeunes servantes par le récit des légendes de Khmelniçki, le chef des cosaques, de Twardoski, le magicien ou Faust de la Pologne.

Et si ce même passant avait poussé la malice jusqu’à escalader un des grands tilleuls qui entouraient la maison peinte en blanc, il eût pu examiner à son aise l’appartement de madame de Kamienez, grâce à la lumière qui éclairait ses croisées, et contempler la baronne, assise (levant un feu pétillant, les pieds croisés sur une immense peau d’ours, et feuilletant un volume usé dont les pages se détachaient.

En voyant cette jeune veuve de vingt-cinq ans à peine, née dans l’opulence, et à qui tout semblait sourire, nul ne comprenait qu’elle préférât la vie retirée et monotone qu’elle menait dans ses terres, aux fêtes et aux triomphes de la capitale. Car Aldona était spirituelle et d’une rare beauté.

Étendue sur un fauteuil de damas fort bas, avec sa longue robe de velours, sa kasabaïka garnie de martre et sa belle tête rêveuse couronnée de tresses d’ébène, on l’eût prise facilement pour une déesse en exil, ou tout ou moins pour une majesté détrônée.

Tout était tranquille autour d’elle. Par intervalles, les aboiements enroués des gros chiens-loups qui montaient la garde dans la cour, éclataient brusquement au dehors.