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À KOLOMEA.

salle. C’était Katherine Gregorowa. Son mari était un paysan d’Horodenka qui avait suivi quelques classes du gymnase ; après avoir fait son temps, il avait repris le train de campagne de son père, et épousé Katherine. Elle-même était une jolie femme, toute jeune, au visage aimable. Elle portait une robe de laine éclatante et un jupon de drap bleu qui lui seyaient fort bien. Ses beaux cheveux châtains étaient réunis en couronne sur sa tête.

« Qui élirez-vous ? demanda-t-elle précipitamment.

M. Kamil, répondit un riche fermier.

— Alors, reprit-elle avec violence, c’est pour en arriver à ce beau résultat que vous vous rassemblez et que vous vous consultez si longuement ! Tout ça pour élire un seigneur, Jésus Dieu ! Le messager vient d’arriver de Kolomea. Ils ont agi autrement là-bas ; ils ont élu des paysans comme en 1848. Si vous étiez raisonnables, vous nommeriez un de vos semblables. »

Les paysans prêtèrent l’oreille, se rapprochèrent, devinrent pensifs.

« Savez-vous pourquoi ? continua l’héroïque petite paysanne. Parce que les autres s’occupent plus d’eux-mêmes que de nous. L’un pense à obtenir une bonne place, l’autre une bonne cure. Le paysan, lui, revient de la diète et reste paysan. Et s’il parle dans son intérêt, c’est du vôtre qu’il s’agit, car sa cause est la vôtre. Qu’on vous dise : Un député doit savoir beaucoup de choses qu’un pauvre paysan ne peut connaître, on n’a pas tort ; et pourtant personne ne comprend mieux son propre intérêt que lui. Tenez, je vous donne un bon conseil ; élisez un paysan, choisissez mon mari Grégoire. Ce n’est pas un ignorant. Il a étudié et il connaît la vie, lui.

— Personne ne peut en savoir plus long que toi sur son compte, ricana grossièrement le tavernier.