Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
NOTRE DÉPUTÉ.

La baronne lui répondit par un soupir. Mais à dater de ce soir-là elle s’occupa plus activement que jamais de l’élection de son mari. Il fallait qu’elle amenât à ses pieds, à tout prix, ce Russe récalcitrant.

Le jour de l’élection arriva. Dès l’aube, avant que les coqs se missent à leur toilette, madame Téofila, la tête hérissée de papillotes, écouta son mari qui, monté sur une caisse et drapé dans sa robe de chambre, débitait une dernière fois sa harangue.

Non loin de l’hôtel de ville, où le vole devait avoir lieu, se trouvait une taverne juive. C’était le rendez-vous des électeurs. Des fermiers, parés de redingotes à brandebourgs, arrivèrent dans de petites voitures ; puis vinrent les juifs, entassés dans une butka. Les paysans, eux, firent leur apparition, montés pour la plupart sur de petits chevaux décharnés ; il en vint aussi à pied, une canne de coudrier à la main.

Ils s’assirent dans la taverne, burent de l’eau-de-vie et écoutèrent en silence l’aubergiste, le chantre, et l’écrivain public, qui discutaient leurs opinions.

Dans la grande salle où l’on dansait le dimanche, les candidats causaient entre eux. Le candidat russe ouvrit le feu par un exorde éblouissant. M. Kamil s’avança ensuite, la main dans son gilet. Il entonna son discours, pendant que Téofila, qui le possédait plus complètement que lui, se tenait au pied de la tribune et lui soufflait les paroles dès qu’il restait court. Tout se passa mieux que M. Kamil lui-même n’eût pu l’espérer. Les fermiers crièrent bravo à plusieurs reprises, et applaudirent des pieds et des mains. C’était quelque chose.

Cependant, la clôture du scrutin approchait et les électeurs restaient indécis.

Tout à coup, une jeune femme se précipita dans la