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SCÈNES DU GHETTO.

mon argent et mon nom, et je m’en contenterai. Rendez-moi mes cinq sous, monsieur le commissaire, les cinq sous que j’ai posés sur votre pupitre.

— Quoi ! le ladre va jusqu’à refuser de payer ces quelques liards ! s’écria le commissaire, hors de lui. Rendez-lui son argent, Krummholz. »

Le chancelier tira la monnaie de sa poche et la lança par terre aux pieds du juif, tandis que le commissaire ouvrait le protocole, et d’une écriture déliée inscrivait rapidement le nom qu’il destinait à Absalom.

Celui-ci, tout tremblant, regarda par-dessus son épaule et poussa une plainte désespérée.

« Il arrivera un malheur, monsieur le commissaire, cria-t-il. Dieu vous punira… malheureux que je suis ! il ne me reste qu’à me tuer maintenant.

— Quoi ! s’écria le chancelier, il se permet encore des menaces ! »

Le commissaire, lui, saisit Absalom au collet et le poussa dehors. Le malheureux trébucha, descendit l’escalier en deux sauts, traversa la rue, tout étourdi et arriva chez lui si anéanti qu’il se laissa aller sur une vieille chaise boiteuse, incapable de prononcer une parole. Tous l’entourèrent, joyeusement curieux.

« Allons, comment te nommes-tu ? demanda sa femme impatiente. Pourquoi ne dis-tu rien ?

— Hélas ! répondit Absalom, soumis à son sort, comment me nommerais-je ? Regarde-moi, ma bonne Rachel, et plains-moi. Malheur ! À partir d’aujourd’hui, je m’appelle Absalom Saufuss[1].


  1. Pied de cochon.