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À KOLOMEA.

« Que dois-je vous donner, Excellence ? Vous connaissez mes moyens. »

Le commissaire chuchota avec le chancelier ; on feuilleta longuement le protocole, et le tailleur quitta l’étude parfaitement satisfait sous le nom d’Aburel Hanig[1].

« Monsieur le commissaire, ô monsieur le commissaire, mon bon monsieur le commissaire ! soupira Absalom. Et, comme on ne l’entendait pas : N’y a-t-il plus de justice sur la terre qu’un honnête homme comme moi reçoive le nom d’Ohrenblaeser ?

— Tu le trouves trop mesquin, peut-être, hurla le commissaire. Préfères-tu t’appeler Absalom Gans[2] ?

— Je me tuerai, monsieur le commissaire, si vous me donnez un tel sobriquet — supplia Absalom. Suis-je un oiseau ? puis-je voler ? Hélas ! je ne suis qu’un pauvre et honnête bonhomme de juif. »

Schemuël, le cocher, se présenta à son tour ; cet homme n’était pas plus riche qu’Absalom ; il accabla le commissaire de compliments et de courbettes, et lui dit des choses assez flatteuses pour tourner la tête à la plus jeune et jolie fille. Puis il s’approcha humblement du chancelier, et recommença ses sourires et ses révérences ; enfin il posa trois pièces de dix sous sur le pupitre. Le commissaire se mit à rire.

« Sais-tu quel nom je vais te donner, Schemuël ? dit-il solennellement ; celui de Schmeichle[3]. Ça te va-t-il ?

— Pourquoi pas ?

— Qui est heureux ? s’écria alors Absalom, saisi par une résolution subite. Celui qui est satisfait de son sort, dit la Mischnah. Donc, pour l’amour de Dieu, je garderai

  1. Miel.
  2. Oie.
  3. Flatteur.