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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

cieuse femme de Nicolas bande les yeux de son danseur. D’autres jeunes gars arrivent, se nouent un mouchoir sur la figure, et se mettent en trébuchant à la recherche de la terrine.

Je me promène silencieusement dans la cour. Tout y est tranquille. Les poules endormies gloussent faiblement ; le chien gronde, flaire dans le vide et remue la queue.

Derrière le château, personne.

Je franchis la clôture d’une petite prairie, et m’étends sur une meule de foin.

Aux alentours règne un repos complet. Pas un cri d’oiseau dans les branches, pas le moindre sifflet de berger attardé dans les pâturages.

Un zéphyr humide s’élève ; la vallée est inondée de clarté par la lune, le ciel sablé d’astres scintillants ; la voie lactée y étend son long cordon d’un blanc d’opale. Un rossignol commence son chant plaintif. Les sons partent d’un taillis voisin, qu’argente un rayon de lune. Un second rossignol répond par un soupir mélodieux d’abord, puis par de brillantes roulades qui éclatent comme des rires joyeux dans le silence de la nuit.

Soudain, l’herbe jaunie, coupée ras, craque et se brise. Un pas furtif y glisse en s’approchant. Le miaulement caressant d’un chat part d’un petit saule, à ma gauche.

Quelqu’un vient. Je me lève ; j’aperçois une silhouette de femme qui, à ma vue, semble s’arrêter court, légèrement troublée.

Nul doute ; c’est Iéwa.

« Est-ce vous, Monsieur ? » dit-elle d’une voix calme.

Je lui pris la main.

« Qui donc cherches-tu ? » lui demandai-je.

Elle garda le silence, mais n’évita pas mon regard. Son œil était limpide et assuré.