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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

« Eh bien, Iewa, qu’est-ce qu’il y a ? Ils refusent de te couronner reine des moissons ? »

Elle tressaillit. Le mouvement qui lui échappa mit à découvert son visage, du plus pur ovale, au délicieux profil grec. Elle était pâle, très pâle. Ses grands yeux avaient des lueurs étonnantes. Sa gorge découverte se soulevait lentement, comme les ailes d’un cygne assoupi. Elle baissa ses longues paupières, puis arrêta des regards indifférents sur la guirlande qui s’achevait devant elle. Pendant un moment encore je la contemplai, puis :

« C’est à elle que revient la couronne, » m’écriai-je avec feu.

Le vieux paysan approuva de la tête. Les moissonneurs accoururent en agitant leurs chapeaux.

« C’est Iewa qui est notre reine ! » répétèrent-ils d’une seule voix.

Elle se leva, et me regarda ; puis sans me remercier, d’un brusque mouvement de tête, elle ramena sur ses épaules les longues nattes épaisses de ses cheveux, et commença à les dérouler.

« Choisissez les filles d’honneur, » dit-elle avec une moue dédaigneuse aux moissonneurs qui se rassemblaient autour d’elle. Puis elle leur tourna le dos et dénoua ses tresses, qui se répandirent en anneaux soyeux autour d’elle et l’enveloppèrent comme d’une mantille.

Chacun se taisait. Seule, une vieille édentée se glissa près de moi et grommela à demi-voix : « Cette paresseuse ! il ne lui est pas difficile d’avoir la peau blanche et une longue chevelure. À quoi passe-t-elle, son temps ? À chanter, à rêver, à aimer, à rire !

— Je ne vois pas Haudza, fit observer timidement un jeune homme en baissant les yeux.