Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
À KOLOMEA.

vingt-quatre jours de robot pendant une seule semaine, et ne savait à quel saint se vouer.

» Ah ! dans ce temps-là, tout n’allait pas pour le mieux, je vous en réponds. De l’aube à la nuit, le paysan suait sur sa charrue, afin que le seigneur pût manger dans de l’argenterie, et la noble dame se pavaner dans un traîneau attelé de quatre chevaux. Le misérable usait ses forces dans un labeur ingrat, dans le simple but d’entretenir au château la paresse et la débauche. Il se nourrissait de pain d’avoine, lui ; quant à sa femme, elle trottait pieds nus dans la neige. »

Mon homme éprouvait une satisfaction évidente à se reporter aux temps difficiles qu’il avait traversés ; tout en parlant il mesurait de l’œil avec complaisance ses luxuriantes récoltes.

« J’imagine qu’autrefois le paysan n’était pas plus fainéant qu’aujourd’hui, fis-je observer après quelques-instants de réflexion. J’ai entendu parler des moissons nocturnes. Vous vous en souvenez encore ? »

Le paysan détourna la tête et cracha par terre.

« Je ne sais que vous en dire, monsieur, répondit-il. Voilà comment cela se passait.

» Nous avions alors fréquemment des étés peu favorables. Les orages, les tempêtes, les trombes transformaient les champs en lacs et les sillons en rivières. Un répit de quelques jours survenait-il ; le temps se remettait-il au beau : le seigneur occupait du matin au soir les paysans dans ses terres, et leur enjoignait de rentrer ses moissons avant le retour des pluies. De cette manière, les pauvres gens n’avaient pas un instant pour recueillir leur grain qui s’inclinait lourdement vers le sol, et que le moindre nuage pointant à la surface du ciel menaçait d’anéantir.