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À KOLOMEA.

Plus je paraissais absorbé, plus aussi le vieillard s’efforçait de me distraire.

« C’est aujourd’hui que nous terminons nos travaux, dit-il ; les gens du manoir finissent en même temps que nous. Ce soir nous nous réunirons pour célébrer la fête des moissonneurs.

— Je crois que vous êtes restés en bons termes avec votre ancien seigneur, ajoutai-je.

— Pourquoi en serait-il autrement ? repartit le paysan. Il n’est pas plus que nous autres, et comme nous il est Russe. Avec les propriétaires polonais, c’est une autre question. Entre eux et nous existe une haine insurmontable, qui du reste est entretenue par nos chants populaires.

» Monsieur Lesnowicz est, à dire vrai, pour tous plus un frère qu’un supérieur. Il nous a aidés à bâtir l’école ; il nous a abandonné une forêt contestée. Aussi l’élirons-nous député.

— Vous possédez en effet une excellente école. Quant au partage des terres, il me semble qu’ici il est mieux compris que chez nous en Gallicie.

— Vous nous faites beaucoup d’honneur, interrompit vivement le paysan. En vérité, ici, nous n’avons pas à nous plaindre. Mais si, ailleurs, les affaires vont mal, faut-il s’en étonner ? Les livres rapportent que les paysans sont des êtres paresseux, de mauvais travailleurs, des ivrognes et des brutes ; le chantre, du moins, nous a lu un jour quelque chose dans ce goût-là. Eh bien ! Dieu soit loué, il n’en est rien. Et encore, serait-ce surprenant s’il en était ainsi ? Réfléchissez donc à la position que nous occupions. Jadis, sous la domination polonaise, on ne nous croyait bons qu’à cultiver les terres des nobles, juste comme des bœufs ou des chevaux. Bien plus, si quelque voisin volait à un seigneur un cheval, la loi le