Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

chantant, tantôt gazouillant, si bien qu’elle éveilla la jalousie d’un rouge-gorge établi dans le buisson. Le petit oiseau se rapprocha, sautilla dans les fleurs neigeuses, et se percha sur une branche élevée, et contempla avec gravité ce ravissant tableau, de son œil noir et brillant.

Les paysans m’avaient salué. Ils m’examinaient maintenant avec attention. Un vieillard s’avança à ma rencontre. C’était le propriétaire du champ voisin. Il surveillait le travail de ses ouvriers. Dès qu’il m’aperçut, il vint me tenir compagnie ; selon l’usage russe, à dix pas de moi, il ôta son chapeau et formula toute espèce de souhaits, non seulement à mon adresse, mais à celle de mes enfants et petits-enfants.

En me saluant il mit à découvert son visage aux traits sévères, sa bouche mélancolique, que voilait à demi sa moustache blanche, et son large front, surmonté de cheveux gris proprement coupés. Il me parut à la fois beau et sympathique. Sa redingote grossière, de l’étoffe dont on fait les couvertures, était garnie d’un capuchon qui se rabattait sur la nuque, et de galons bleus qui en suivaient capricieusement toutes les coutures. Cette sorte de redingote, qui semble taillée sur le modèle de celles des cavaliers de Gengis-Khan, est chère au paysan gallicien, qui la considère comme faisant partie de son costume national, et la conserve comme un héritage de l’époque des Tatares.

Nous nous promenâmes en long et en large entre les gerbes, causant de la récolte, et, tout en devisant, nous atteignîmes le mont des Tatares, qui tranchait sur l’horizon embrasé du couchant comme un noir cercueil. Je déposai mon fusil par terre et je m’assis à l’ombre. Le paysan réfléchit un moment, regarda autour de lui, et s’établit à quelque distance.