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À KOLOMEA.

autres. Elles s’alignaient en longues files, semblables aux tentes d’un camp immense. À l’horizon, une forêt s’allongeait en bordure comme la clôture sombre d’un jardin ; au bout de la plaine surgissait le petit village de Turowa ; ses chaumières basses, avec leurs toits de paille descendant jusqu’à terre et leurs étais, avaient aussi l’air de grandes meules.

Le bâtiment, vaste mais peu élevé, dont se compose la seigneurie, est situé sur une colline, au milieu des écuries, des remises et des granges. Il se relie au village par un sentier qui serpente à travers des carrés de vaine pâture.

Une éminence de terre stérile, surmontée d’un rocher appelé par le peuple mont des Tatares, le surplombe. C’est derrière ce monticule que se déploient les champs de blé, où retentissent les refrains des moissonneurs, puis d’autres, puis d’autres encore.

La brise était fraîche et parfumée. Le soleil étincelait dans l’air bleu. Je pris mon fusil et sortis de la maison.

Sous la vérandah, je trouvai mon hôte Wasyl Lesnowicz. C’est un aimable vieillard, de taille moyenne, osseux, avec un front bombé, des cheveux blancs qu’il entretient avec soin, une moustache tombante, un nez un peu fort et un menton carré. Ses yeux vifs et perçants, surmontés de sourcils touffus, lancent parfois des flammes.

— Frère, me dit-il, ne vous éloignez pas trop du château ; c’est aujourd’hui que les paysans terminent leurs récoltes, et c’est ce soir que nous célébrons la fête des moissons. Le village entier se rassemble chez nous. Les paysans nous aiment, voyez-vous, parce que nous les considérons comme nos égaux. Personne ne va plus danser vis-à-vis, chez mon voisin le Polonais, excepté les ouvriers qu’il paye.