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À KOLOMEA.

dans la boue deçà et delà. Sa colère était si forte, que ses dents claquaient.

« Et nous n’avons pas le droit de considérer la prière comme un office divin, ajouta Mintschew avec un grand calme.

— La prière n’est pas un office divin !

— Non, ce n’est pas un office divin, reprit Mintschew. La prière, chez nous, est généralement considérée comme un abedah. C’est une grave erreur. Rendre service à autrui, n’est-ce pas ? cela veut dire accomplir à la place de quelqu’un un acte qu’il ne veut ou ne peut accomplir. »

Pintschew approuva vivement de la tête.

« Par conséquent, si, en priant, nous rendons un service à Dieu, il en résulte que Dieu devrait prier lui-même, et que l’homme se charge de ce devoir à sa place, parce qu’il ne peut ou ne veut le remplir. Donc la prière est simplement une absurdité.

— Absurdité ! Holà ! Mintschew, absurdité ! Mais, dans ce cas, le Talmud aussi est absurde, la Thora est absurde, ou c’est toi qui es un âne. »

En ce moment, Jossel, le boute-en-train le plus en vogue de la contrée et qui, depuis deux heures, faisait rire toute la noce, parut sur le seuil de la maison. Il considéra un instant les deux interlocuteurs, et entonna doucement d’une voix nasillarde le couplet suivant :

J’ai envie de me faire paysan, de labourer paisiblement mon champ avec une charrue.

Sans moi, il y a aujourd’hui assez de fous dans le monde.

Oui, je préfère devenir un schorrer[1], renoncer à mes bons mots et à mes folies.

Car les rues regorgent d’insensés qui me font concurrence.

  1. Mendiant.