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LES AMOURS D’ADAM KOSABRODZKI.

dame. Elle n’allait plus pieds nus, elle ne se balançait pas dans la cime des peupliers et ne mettait plus de chats à la broche. Elle possédait pleinement, à l’instar des Polonaises, l’art de s’établir sur un divan, moitié assise moitié couchée, de coqueter et de tourner la tête aux hommes. En marchant, elle faisait onduler gracieusement ses hanches. Elle s’entendait aussi fort bien à savourer des huîtres et à ingurgiter force verres de champagne. Elle parlait bas, elle avait des manières distinguées ; elle s’exprimait même fort purement en français.

De temps à autre, cependant, son caractère sauvage reparaissait avec une violence qui effrayait ses plus intimes amis.

Kosabrodzki avait un voisin qui lui causait toute espèce de désagréments. Un matin que ce voisin avait été jusqu’à le menacer d’un procès-verbal, Adam se répandit devant Tschingora en plaintes amères. Le même soir, un formidable incendie éclatait dans la grange du méchant homme. Kosabrodzki, en véritable philosophe, donnait l’ordre d’envoyer sa pompe à feu sur le lieu du sinistre, lorsque Tschingora se glissa dans la cour, l’attira mystérieusement dans un coin sombre et murmura à son oreille :

« Grand nigaud ! quelle idée as-tu d’aller l’aider à éteindre sa grange ? c’est moi qui y ai mis le feu !

— Toi ! c’est toi qui… bégaya-t-il terrifié.

— Oui, pour te faire plaisir, » répondit Tschingora avec une pointe de fierté.

Par bonheur, il ne vint à l’idée de personne que cette jolie dame au peignoir de soie et de dentelles pût être l’incendiaire. On se le figura, au contraire, sale, déguenillé, pustulant, vêtu de toile, avec une plume de