Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
À KOLOMEA.

tait aux côtés de Kosabrodzki et qui volait à travers la neige veloutée, assourdissant la plaine par le ricanement aigu de ses clochettes, elle frissonnait encore quand elle se promenait dans les chambres chaudes, quand, le soir, elle jouait aux cartes avec son amant ou prenait avec lui ses repas dans la salle à manger. Elle ne se sentait à son aise qu’enveloppée d’une énorme pelisse, pelotonnée dans un fauteuil, et les pieds appliqués contre l’immense poêle dont la porte entr’ouverte paraissait vomir des flammes. Elle pouvait passer des heures, des journées à remuer des tisons sur lesquels ses yeux se fixaient longuement et avec langueur. Il y avait aussi des moments où elle se débarrassait de tout brusquement. Sa pelisse, sa robe, ses pantoufles, ses bas volaient pêle-mêle dans sa chambre. Vêtue seulement d’une chemise et d’une petite jupe, pieds nus, son tambourin à la main, elle se mettait à danser sur le tapis. Ce n’était plus alors une vulgaire bohémienne, un enfant de la steppe qu’on avait devant soi ; c’était une véritable artiste. Comme Liszt au piano, lorsque son âme semblait avoir passé dans ses doigts, elle improvisait avec ses pieds, avec ses bras, avec tout son corps. Sa danse, aucune créature humaine n’eût pu l’imiter. Tschingora dansait comme les mayki, les elfes de la Petite-Russie sur les coteaux ruisselants de clarté de lune, comme les willis, les vierges mortes le cœur dévoré de désirs inassouvis, comme dansent les houris dans le paradis de Mahomet.

Parfois, elle disparaissait tout à coup, laissant Kosabrodzki la chercher et l’appeler en vain, jusqu’à ce qu’il la trouvât, le soir, à l’office, assise au milieu des domestiques, batifolant avec eux à gorge déployée.

Au retour du printemps, elle s’éclipsa pendant dix jours entiers. Personne ne savait où elle était et de quoi