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LES AMOURS D’ADAM KOSABRODZKI.

un de ces foyers improvisés, tournant gravement une broche qu’elle s’était fabriquée avec des baguettes de genévrier et où elle avait enfilé un malheureux chat. À l’arrivée d’Adam, elle s’enfuit avec sa robe de soie rouge dans une grande prairie où paissaient des masses de chevaux, de vaches et de moutons. Là, elle transforma rapidement en une sorte de lasso une longue corde que la femme du pasteur petit-russien avait tendue pour faire sécher son linge, se lança à la poursuite d’un cheval, l’attrapa avec une adresse merveilleuse, se hissa sur sa croupe luisante, le maîtrisa et partit comme une flèche sur l’animal fougueux, sans selle ni bride, à l’instar des déesses slaves, à travers la steppe.

Kosabrodzki admirait cette audace, bien qu’elle lui causât souvent de vives inquiétudes. Il conduisit Tschingora au manége où, dès le premier jour, elle fit des prodiges et rappela par son audace et l’élégance de son maintien la vaillante Élisabeth d’Autriche. Maintenant, sa plus grande passion était de traverser au galop, escortée d’Adam, les prairies en fleur, et d’y débusquer, à l’aide de ses lévriers, le lièvre et le renard. Elle franchissait sans sourciller les torrents et les précipices les plus escarpés, les clôtures les plus élevées. À la chasse, il semblait qu’elle ne se connaissait plus ; ses lèvres pourpres s’entr’ouvraient, ses narines frémissaient, ses yeux s’injectaient des reflets jaunes d’une joie cruelle.

À l’entrée de l’hiver, elle s’assombrit subitement. Les amas de neige qui couvraient la campagne, transformant la seigneurie en forteresse et rendant presque impossibles les communications avec le dehors, lui causèrent une grande tristesse. Elle se sentait glacée, de jour et de nuit. Elle grelottait, comme secouée par la fièvre. Elle frissonnait non seulement dans le traîneau qui l’empor-