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À KOLOMEA.

Pour le coup, le bonheur de Kosabrodzki semblait assuré.

À partir de cette soirée, le blond philosophe et la bohémienne au teint doré s’aimèrent follement. Elle répondit à sa tendresse avec une passion sauvage. Quand elle l’enveloppait de ses deux bras, c’était comme si elle eût voulu le déchirer. Elle était, du reste, fort douce. Elle passait des journées entières étendue sur un divan, aspirant avec extase la fumée rafraîchissante d’un narghilé.

Ils s’aimèrent follement, c’est vrai ; mais bientôt ils s’ennuyèrent aussi follement. Près de Tschingora il n’était pas de conversation possible, et cela mettait Kosabrodzki au désespoir. Car, pour être heureux, il ne suffit pas de s’embrasser. Toujours embrasser fatigue comme toujours marcher, fendre constamment du bois, ou travailler sans relâche à un ouvrage pénible. Peu à peu, cependant, Tschingora parut s’apprivoiser. Elle prit goût à se vêtir richement. Ses yeux brillaient d’orgueil quand son amant la contemplait avec admiration. Une fois seulement, qu’il se mit à genoux devant elle, elle le railla et se moqua beaucoup de lui.

Tout en se départant de sa timidité, Tschingora lâchait les rênes à une foule de petites passions qui ne laissaient pas que de causer à Kosabrodzki une certaine inquiétude. Tschingora touchait à peine aux mets excellents qu’Adam lui faisait apprêter ; par contre, elle escaladait, dans les plus élégantes toilettes et avec des traînes de soie, les murs et les haies des jardins voisins pour y voler des fruits, ou bien elle allumait le soir dans les champs un petit feu et faisait griller sous la cendre des pommes de terre et des épis de maïs qu’elle déchiquetait ensuite à belles dents. Le philosophe la surprit même un jour devant