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LES AMOURS D’ADAM KOSABRODZKI.

pas complètement compte. Son joli château lui paraissait une vaste et ennuyeuse solitude. Tout lui semblait triste. Il désirait quelque chose et ne savait pas quoi. Enfin il fut forcé de s’avouer un matin que son repos l’avait quitté pour s’attacher aux pas d’une ravissante petite femme au teint ambré, aux colliers de sequins sonores, qui s’était enfuie en sautant par-dessus une haie.

Le garde-forêt fut chargé de découvrir la retraite des bohémiens. Ils étaient campés au cœur d’un bois de chênes, dans une clairière tapissée de vert gazon, près d’une source jaillissante.

Aussitôt Kosabrodzki mit en bandoulière son fusil à deux coups et se fit accompagner à la clairière par le garde-forêt. À son arrivée, les bohémiens ne témoignèrent aucune surprise. Les hommes le saluèrent humblement, les femmes lui sourirent. Celle qu’il cherchait n’était pas là.

Kosabrodzki resta un instant à contempler le tableau pittoresque que formait ce groupe hâlé, aux haillons bariolés, accroupi entre les deux huttes de feuillage qu’il s’était élevées, et caressé par la lueur rougeâtre de deux immenses feux se dessinant sur l’azur satiné du ciel d’automne.

Un jeune bohémien aux cheveux noirs et frisés, aux dents blanches, s’approcha de Kosabrodzki.

« Mon gracieux seigneur, commença-t-il familièrement, demande peut-être Tschingora, ma femme.

— Ta femme ! exclama Adam. Je l’ai prise pour une jeune fille.

— Vous me faites bien de l’honneur, repartit le bohémien très-flatté. Il appuya deux doigts sur ses lèvres et poussa un sifflement aigu. La jolie bohémienne, ni plus ni moins qu’un chien obéissant, sortit du fourré et accourut à toute vitesse »