Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
À KOLOMEA.

Il lui donna un ducat. Elle jeta sur la pièce d’or une œillade lumineuse et avide, et s’empara de la main de Kotsabrodzki pour y presser ses lèvres roses. Mais lui, passa le bras autour de sa taille et voulut l’embrasser.

Il ne l’embrassa pas. Il recula terrifié. L’odeur âcre et pénétrante qu’il avait sentie un moment auparavant venait de le prendre à la gorge. Plus forte et plus infecte que jamais, elle semblait se dégager des vêtements de la séduisante bohémienne.

Elle eut un sourire ironique.

« Allons, va-t’en ! » lui cria Kosabrodzki irrité. Et il la menaça de la faire partir à coups de fouet.

Elle sauta prestement par-dessus la haie du jardin et s’enfuit à toutes jambes. Un moment après, le vieux cocher, qui apportait une lettre, leva le nez, flaira l’air et secoua sa tête grise.

« Tiens, fit-il, il y a une odeur de bohémienne par ici.

— Que veux-tu dire ? Les bohémiennes ont donc une odeur particulière ? demanda Kosabrodzki.

— Ce sont toutes des gueuses et des misérables, répondit le cocher ; mais elles veillent plus sur leur vertu que les dames de la haute société. Comme elles sont généralement très-belles, elles s’enduisent le corps d’un liquide qu’on croirait tiré de l’enfer. »

Kosabrodzki se félicita de n’avoir pas eu de fouet à sa portée pour en frapper la mendiante. Certainement cette odeur disparaîtrait après un bon bain. Elle était, après tout, préférable à la puanteur d’huile qu’exhalent les négresses. Et puis, la bohémienne, débarrassée de son détestable préservatif, était sans contredit un miracle de beauté. De plus, l’excellent jeune Adam sentait qu’il s’était fait en lui un changement dont il ne se rendait