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À KOLOMEA.

— Fi donc, mon ami ! quelle idée grotesque ! toutes les négresses infectent l’huile.

— C’est vrai, quand elles sont vieilles. Dans leur jeunesse, par contre, elles surpassent nos femmes par la pureté de leurs formes, objecta Kosabrodzki. Figurez-vous une Vénus d’ébène, un foulard blanc tordu sur sa tête noire et crêpue, et vêtue entièrement de satin blanc et de cygne. »

Il s’enfonça dans de doux rêves.

Lorsque je lui dis adieu, il me répéta encore une fois :

« Non, pour Je coup, les femmes du monde sont de vraies énigmes. »

L’automne approchait. Les bandes criardes et bruyantes des petits oiseaux qui en été égayaient les bois et la campagne, les groupes triangulaires dont les cigognes, les grues, les canards et les oies sauvages tachaient, en émigrant, le ciel pur et serein, annonçaient la chute des feuilles.

Kosabrodzki était arrivé devant sa maison, dans le jardin, près d’un massif de fleurs multicolores. Il lisait le Czas. Tout à coup, une odeur âcre et pénétrante se répandit autour de lui. Il leva les yeux, regarda à droite et à gauche, et aperçut, à environ trois pas, une jeune bohémienne d’une beauté sauvage et vraiment bizarre. Elle se tenait derrière un bouquet de chrysanthèmes dont elle effeuillait les pétales d’un rouge de sang. Elle baissait timidement les yeux vers la terre, lançant de temps à autre un regard dans le jardin. Son sourire laissait à découvert une rangée de très-jolies dents qui étincelaient dans son visage fermement modelé, de couleur d’ambre. Un foulard écarlate était noué lâche dans ses nattes sombres et ébouriffées. Un court jupon bleu, moucheté de vieux morceaux d’étoffes diverses, tombait de ses han-