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RÉCITS GALLICIENS.

venaient rendre visite à Abraham. Elle aimait à placer le shako de celui-ci ou de celui-là sur ses cheveux noirs, à se tenir ainsi coiffée sur le pas de la porte, et à saluer les jeunes seigneurs qui passaient. Elle sautait dehors comme une biche, chaque fois que le comte Wladimir arrêtait son cheval arabe devant la kartchma, et elle s’empressait de lui offrir du slivowitz, tandis qu’elle tendait à l’animal, sur sa main délicate, du pain et du sel. Elle se mit à porter des traînes. Elle allait, vêtue de quelque peignoir crasseux et la tête hérissée de papillotes, derrière la maison, sous un berceau de chèvrefeuilles, pour y dévorer des romans dont les feuillets gras se collaient les uns aux autres. À cette époque, je ne la vis occupée à autre chose qu’à sa toilette, tantôt mêlant aux torsades de son chignon les perles de sa mère, tantôt y plantant une rose, tantôt rajustant quelque colifichet sur sa poitrine, après quoi son regard allait toujours droit au miroir.

Il n’était pas rare de la voir assise au milieu des pratiques, et s’escrimant sur une guitare pendue le reste du temps par un ruban bleu pâle à côté du portrait de Kosciusko. Un jour, elle apparut tout à coup enveloppée dans un drap de lit avec une moustache qu’elle s’était dessinée au charbon ; elle mit un genou en terre devant sa mère ébahie et entama un air de l’opéra de Roméo et Juliette, que, dans un voyage, elle avait entendu au théâtre de Lemberg.

Je lui trouvai quelque chose de séduisant comme le parfum de la myrrhe, mais de si étrange que j’en étais effrayé. Un soir d’été, après s’être débarrassée de son peignoir typique, elle entra, les bras nus, et s’assit à mes côtés. J’éprouvai alors une impression voisine de la terreur, en constatant que ses bras, si beaux de forme,