Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
RÉCITS GALLICIENS.

juif avait eu soin de percer dans le comptoir. Goldfarb se contentait de loucher très légèrement de leur côté pour voir si tout était en règle.

Moïse, le législateur, dit : « Tout le pain contenant du levain doit être mangé à la fête de Pâques. Durant sept jours, aucun pain avec du levain ne doit entrer dans la maison. » Les talmudistes pratiquaient cette doctrine en s’abstenant d’employer jusqu’aux ustensiles servant à faire lever la pâte. En Judée, il était facile d’obéir à ce commandement, à l’époque où l’on cuisait chaque jour des gâteaux plats sous la cendre ; mais maintenant qu’on use de gros pain très levé et qu’on nourrit le bétail avec le son et les autres débris provenant de la fabrication, il devient très difficile, impossible même pour un distillateur, d’observer la loi. Quel parti doit donc prendre le pieux Moïse Goldfarb pour éviter de tomber corps et âme dans un abîme de perdition ? Il connaît heureusement son Talmud et y puise un moyen de sauvetage. La veille de la fête de Pâques, il vend son eau-de-vie, son grain, son orge et la nourriture de son bétail, toutes choses qu’il n’a pas le droit de conserver, à son voisin Frantchichek Kabilka pour le prix de 4 000 florins, mais il a l’âme assez grande pour se contenter d’un acte de vente et d’une quittance portant la somme de quatre gros. Sa grandeur d’âme ne s’arrête pas là : afin que l’acquéreur n’ait pas la peine d’emporter immédiatement ses achats, il lui donne en location tout le bâtiment dans lequel se trouve la distillerie.

Les fêtes de Pâques terminées, Kabilka arrive, très ému, et déclare qu’il n’a pas assez d’argent pour compléter les conditions du contrat. C’est alors que la générosité de Moïse Goldfarb éclate dans toute sa splendeur. Il déchire le contrat, rend au paysan sa quittance,