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À KOLOMEA.

tions qui professent d’autres religions qu’eux, l’avantage de ne jamais chercher à faire de prosélytes.

Moïse Goldfarb, unique spécimen du peuple de Dieu dans la contrée, était tenu d’observer la loi mosaïque au milieu des infidèles, beaucoup plus scrupuleusement que ses coreligionnaires. Quand il se produisait quelque incident épineux pour sa conscience, il trouvait toujours moyen de tourner l’obstacle sans violer les ordonnances bibliques, et savait au contraire l’utiliser à son profit. Ainsi, la loi lui ordonnait des ablutions quotidiennes ; mais les affaires ne lui en laissaient pas le temps, car Moïse était à la fois un homme pratique et bien élevé, et incapable de faire attendre quiconque, fût-ce un valet d’écurie qui entrait pieds nus, et dont la consommation n’allait pas au delà d’une chopine de slivowitz. C’est pourquoi il s’approchait discrètement de l’eau et y plongeait un doigt, ce qui lui suffisait pour se laver. Sa femme et ses enfants suivaient d’ailleurs exactement cette manière d’agir. — Le jour du sabbat lui défendait de se livrer à un travail quelconque, ce qui emportait conséquemment l’interdiction de s’occuper de ses affaires. Moïse n’aurait voulu à aucun prix exposer son âme. Il s’asseyait donc, dans ses plus beaux vêtements, avec sa femme et ses enfants, au comptoir de la taverne, où nul d’entre eux ne donnait à boire ni ne recevait d’argent ; mais, les paysans tenant à leur eau-de-vie aussi bien le jour du sabbat que dans la semaine, ils doivent nécessairement la payer. Que faire ? Une chose très simple. Les pratiques entraient au cabaret, saluaient le juif et s’approchaient d’une table. Ils remplissaient eux-mêmes leurs petites mesures de métal, adressaient aux assistants un « À votre santé ! » avalaient la liqueur d’un seul trait, et jetaient leur sous dans la caisse par un trou que le