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À KOLOMEA.

Plus loin la contre-basse ronfle, semblable à la voix grasse et chevrotante d’un vieil agent de police russe ; elle est accompagnée par le chant timide et mélancolique de quelque paysanne petite-russienne, et au milieu de ce tumulte retentissent soudain des cris perçants : ceux de quelque enfant égaré dans la foule peut-être ? Non, c’est une cymbale et une flûte discordantes qui viennent de rendre ces sons aigus et douloureux.

Dans la grande salle au plafond couvert de suie et si bas qu’il semble peser sur les fronts des convives, dansent des hommes avec de longues barbes et de longs kaftans, et des femmes aux diadèmes brodés de perles. Ils ne dansent pas ensemble ; les kaftans tournent en mesure avec les kaftans, et les diadèmes avec les diadèmes. C’est une noce juive. La mariée est assise sous une sorte de dais, et grignote un biscuit, qui a l’air d’être pétrifié, et le marié, vêtu d’un talar de soie, un grand bonnet de martre sur la tête, se tient dehors, dans l’air lourd, embaumé par les roses et les framboises, et parle à un homme en redingote lilas. Il ne s’agit ni d’une affaire d’honneur ni d’un marché ; la jalousie non plus n’est pour rien dans leur discussion, ces deux juifs étant aussi poltrons l’un que l’autre. Et cependant ils se disputent et s’injurient avec une violence inouïe et crient tous les deux comme s’ils haranguaient une multitude.

Ils discutent un passage du Talmud.

Pintschew, le marié, a, selon l’usage, expectoré à la face de ses hôtes un splendide discours talmudique. Tout le monde s’en est montré satisfait ainsi que du meth[1] qui circulait abondamment pendant le ser-

  1. Hydromel.