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À KOLOMEA.

plus de 4 000 nobles, ils ne firent pas tomber un cheveu de la tête d’un seul juif. Non seulement les juifs furent tous épargnés, mais encore on les répandit comme émissaires dans les campagnes. Le seigneur Raczinski, son intendant, et le curé qui, du haut de la chaire, avait excité les paysans à marcher contre les impériaux, furent battus comme plâtre et traînés, solidement garrottés, jusqu’au chef-lieu, tandis que le buveur de sang, Moïse Goldfarb, ne s’aperçut de la révolution qu’à son commerce d’eau-de-vie, dont le débit acquit une importance beaucoup plus considérable qu’aux autres époques.

Ce juif au front sérieux, au teint blafard, ne me laissa qu’une seule fois une certaine impression de terreur. C’était la nuit. Je longeais sa taverne par un beau clair de lune, traînant après moi un lièvre tué au gite, lorsque j’aperçus en travers de la route des silhouettes humaines qui se découpaient énergiquement sur un ciel d’une clarté d’argent, tandis que mon oreille était frappée de temps en temps par un cri rauque, étrange et sauvage. C’était Moïse Goldfarb qui priait au milieu des siens.

Devenu plus grand, je me hasardai malgré tout à franchir un soir le seuil maudit, et peu de temps après j’étais déjà tout à fait à mon aise dans la salle à boire, vaste et crépie à la chaux. Je commandai alors en qualité de général une petite armée de jeunes paysans qui m’obéissaient au doigt et à l’œil. J’avais des officiers, des soldats, même un porte-enseigne, mais il me manquait un tambour. Or Abraham, le fils aîné de Goldfarb, avait appris à battre la caisse avec des soldats hongrois du régiment Mariassy. Rien ne s’opposait à ce que j’en fisse mon tambour. C’est sous ses auspices que je fus admis dans la taverne juive, dont je devins plus tard l’hôte