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RÉCITS GALLICIENS.

pas de le nier, exerçaient sur moi une fascination toute particulière.

Je n’osais y pénétrer, il est vrai, et je me contentais d’y plonger des regards curieux quand je passais devant la porte ; mais je n’oublierai jamais qu’un soir de sabbat je me glissai tout doucement jusqu’à la fenêtre de la chaumière, pour voir à travers les vitres mal lavées, et que j’aperçus Moïse Goldfarb vêtu d’une robe de soie traînante, tout droit, avec sa barbe noire et flottante, au bout de la table chargée de plats, et disant la prière pendant que sa femme, parée d’un costume rouge et coiffée d’un diadème étincelant, et ses enfants, en habits de fête, se tenaient autour de lui, suivant des yeux le mouvement de ses lèvres. Sur la table, un poisson, baignant dans une sauce aux raisins secs, exhalait l’odeur la plus alléchante, non loin d’une grosse brioche, au-dessus de laquelle un lustre suspendu au plafond éclairait vivement la salle. Au dehors, dans un ciel bleu sombre, l’étoile du berger brillait dans toute sa beauté, comme si elle eût voulu participer à la magnificence du saint jour.

« Oui, c’est un buveur de sang, disait M. Raczinski, à qui appartenait le village où Moïse Goldfarb avait loué la distillerie située derrière sa taverne. — C’est un buveur de sang, répétait l’honnête intendant qui, arrivé un jour dans une petite veste d’été chez ce propriétaire, s’était bientôt, au grand étonnement de tous, acheté à son tour une seigneurie. — C’est un buveur de sang, » affirmaient le curé du village et le pasteur de la colonie protestante établie dans le voisinage. C’était du reste le seul point sur lequel ces deux hommes de Dieu fussent d’accord. On ne peut cependant s’empêcher de le faire remarquer, lorsque les paysans galliciens prirent les armes en 1846 contre les Polonais insurgés, et égorgèrent