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À KOLOMEA.

» Le fracas a retenti au loin. Mes gens accourent au bruit et se hâtent d’aller chercher le cadavre. — Eh bien ! qui croyez-vous que j’avais tué ?

— Peut-être votre commandant qui voulait vous mettre à l’épreuve.

— Vous n’y êtes pas, cher ami. J’avais abattu l’âne du métayer, un pauvre âne qui broutait paisiblement sur la colline.

» Songez-vous au triste « effet moral » ? Tous se moquèrent de moi, même mes supérieurs, au point que je demandai à permuter.

» Cet âne fut, si j’ose m’exprimer ainsi, la source de ma fortune. Je fus envoyé à Milan pour servir d’ordonnance au vieux Radetzky. Il me toisa, devina en moi un ancien soldat, et, après m’avoir interrogé, me proposa pour le grade d’officier. Je ne l’obtins qu’en 1858, mais je suis bien effectivement « M. le lieutenant Birkewitz. »

» Dans les temps qui précédèrent la guerre de 1859, les soldats et les officiers furent victimes en Italie de nombreux attentats. On nous défendit en conséquence de sortir seuls et notamment pendant la nuit ; mais moi — il n’y a pas de ma part indélicatesse à en parler, puisque je ne nomme personne, — j’avais une intrigue avec une Italienne, une femme — et il fit claquer sa langue contre son palais, — une femme à s’étendre sans hésiter sur un banc et à se faire donner vingt-cinq coups de bâton. Enfin, suffit. Je prenais par le jardin pour aller passer de longues soirées avec elle, même quand son mari était à la maison ; mais la discipline est la discipline. Je n’y allais que quand mon régiment était de service. Je recommandais au caporal de m’attendre devant la maison avec la patrouille. Les choses s’étaient toujours passées ainsi. Je retournais à la caserne avec mes soldats.