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RÉCITS GALLICIENS.

moustache, on parvient à conserver « l’effet moral », auquel, s’il faut l’en croire, nulle femme ne peut résister.

Je l’ai déjà dit tout à l’heure, notre ami n’est pas beau. Il n’a pas moins de six pieds. Jusqu’en 1849, il a été grenadier. Comme tous les gens de grande taille, il marche le dos légèrement voûté, avec un léger tremblement des genoux. Ses jambes, ses bras grêles et effilés, son long cou mince, ses oreilles diaphanes et écartées de la tête, et l’espèce de grelottement nerveux qui l’agite continuellement, lui donnent l’aspect d’un de ces lévriers qui, été comme hiver, semblent pris d’un frisson perpétuel. Son nez crochu, en lame de couteau, a l’air d’avoir été découpé dans une feuille de papier. J’ai toujours peur qu’il ne l’arrache chaque fois que, pour se moucher, il le plonge imprudemment dans son immense foulard jaune. Mais aussi quels yeux il a ! de grands et beaux yeux bleus, naïfs comme ceux d’un enfant, avec des regards modestes qu’envierait la fille d’un pope. Ces yeux-là durent jadis séduire bien des pécheresses.

Le brave lieutenant, quoique retraité, a porté trop longtemps le mousquet pour ne pas avoir au suprême degré le respect de son grade. Il est si plein de cette formule, « monsieur le lieutenant », et considère sa qualité d’officier comme si supérieure à sa qualité d’homme, que, dès qu’il est question du premier, il ne le désigne jamais que par ces mots : « monsieur le lieutenant ».

« Quel sens attachez-vous à l’expression « monsieur » ? lui demanda un jour inconsidérément un fermier prussien.

Holopherne le regarda longtemps d’un œil de pitié, puis répondit : « Mon ami, tout le sens réside dans le mot lieutenant.

— Et dans monsieur, qu’y a-t-il ? demanda cet homme entêté.