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entremêlés de chants lointains, me glacèrent d’effroi ; il me semblait entendre un orchestre infernal et les hurlements de tous les damnés. C’était déchirant et parfois terrible ; j’étais attiré et repoussé coup sur coup, et jamais musique ne m’avait fait éprouver pareille impression ; mais en Chine, cette musique est insupportable et n’a produit sur moi d’autre effet que de me faire boucher les oreilles.

21 mai 1852.
Départ d’Emoï pour Singapour.

« Les chinois que nous avions amenés à Emoï y sont restés, mais nous en avons repris 120 pour Singapour. Il y a parmi ces passagers des types curieux. On en a placé dix dans deux petites cabines de la chambre, et pourtant la chaleur est telle que nous passons les nuits sur le pont pour jouir d’un peu de fraîcheur. Quant à nos passagers chinois, on dirait qu’ils ne sont pas à bord ; on ne les voit pas et ils dorment la plupart du temps. Un grand nombre d’entr’eux n’ont d’autre bagage que leur pipe, une natte et un immense chapeau de paille qui les couvre en entier et peut les garantir du soleil comme de la pluie. Pour dormir, ils s’accroupissent en contractant leurs membres à la manière des marmottes, et disparaissent sous leur chapeau, qui leur sert de couverture. — Ceux qui logent dans la chambre sont les Aristos, les écrivains et le chargé de pouvoirs de l’affréteur. Ce dernier est long et fluet, disloqué comme un clown, se servant de ses pieds comme de ses mains, d’une intelligence et d’une mémoire remarquables. Il a un grand désir d’aller en France et s’efforce à apprendre