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sent envie au fond du cœur, peut être de faire payer cher au gamin ses bourrades, mais en public, ils devaient respecter le serviteur de Talaiou (du consul), son second lui-même. J’étais révolté de cette conduite, et je le fus bien davantage quand j’entendais des gens, humains et bons d’ailleurs, établir en principe que pour être respecté des Chinois, il faut s’en faire craindre. Un homme du peuple en Chine, un homme de peine, ce qu’on appelle un coolee, est un être passif ; on le frappe, on le rixe, on le maltraite de toutes les manières sans qu’il songe seulement à s’en plaindre. L’esclavage l’abrutit. Il y a à Chang-hay quinze cents européens qui frappent et bâtonnent un million de Chinois qui se laissent faire. Je ne sais en vérité quels sont les plus lâches !

Le Taoutai de Chang-hay et son escorte.

« Nous croisâmes en route l’escorte du Taoutai de Chang-hay. On eut dit la marche du bœuf-gras, tant c’était ridicule et grotesque. Tout à l’entour de sa chaise, marchaient et paradaient des soldats en jaune et en rouge qui avaient l’air de gardes chiourmes et qui portaient des étendards sur lesquels on lisait nombre d’inscriptions paternelles comme celle-ci : « Voici l’envoyé de Dieu qui passe, prosternez-vous et tremblez, » et les Chinois se prosternaient et tremblaient, car le rotin était là. Pour compléter la mascarade, les soldats avaient sur le ventre une plaque où brillait cette divise : Je suis brave.

« Ce Taoutai de Chang-hay est un ancien courtier de la maison Jardine et Mattison de Canton, qui a pu voler assez ses patrons pour acheter sa charge 75 000 piastres.