Page:Sabin Berthelot Journal d un voyageur 1879.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
journal

boit dans une feuille de bananier roulée ; chacun a la sienne qu’il doit jeter à terre, avec dédain, après avoir bu.

« Nous vîmes, le lendemain, un autre spectacle curieux :

« C’étaient toutes les pirogues de guerre chargées de leurs guerriers et revenant chez elles la paix conclue. On voyait là les guerriers d’Atua, accompagnés de leurs alliés d’Ana, qui allaient aider à reconstruire les cases brûlées et les plantations dévastées par l’ennemi. Parmi la flotille de pirogues, il y en avait de fort grandes contenant jusqu’à 60 hommes, dont 20 pagayeurs ; celles-ci avaient à bord un ou deux pierriers qu’on déchargeait en passant le long de notre navire, en signe de réjouissance et pour faire honneur à notre pavillon. Tous ces hommes, à la peau nue et éclatante au soleil, avec leur chevelure ébouriffée et brandissant leurs fusils et leurs lances, avaient quelque chose d’indicible. C’était vraiment un magnifique spectacle. Tant grandes que petites, il y avait bien 50 à 60 pirogues avec leurs balancelles, leurs voiles de natte et leurs ornements en coquilles. En passant à côté de nous, toute cette multitude a entonné, à l’unisson, un chant immense, grave et triste, qui retentissait dans toute la rade. C’était d’un effet grandiose et étrange à la fois. Les paroles étaient, nous dit-on, analogues à la circonstance, pleines de mansuétude et de mélancolie : « Amour et affection à cette terre désolée par la guerre ; amour et affection, nous restons seuls pour pleurer et gémir ! »