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la vallée d’Anu-ana, du froid ; l’aspect du terrain prend une teinte plus sévère, le chemin est rocailleux, abrupte, on n’aperçoit plus la ville. Les distances sont indiquées par des poteaux en milles anglais. Cela détruit un peu l’illusion ; toutefois on trouve encore du charme dans ces gorges solitaires, et moins les poteaux de la civilisation, on peut encore se croire dans un pays sauvage. À mesure qu’on s’avance, la végétation devient réellement belle, il y a de chaque côté du chemin et sur les pentes des rochers de grands et beaux arbres et un inextricable fouillis tout verdoyant. Après avoir monté pendant six milles par une pente très-rapide en certains endroits, le chemin s’applanit tout à coup, les arbres deviennent rares, les rochers se dépouillent et prennent une teinte rougeâtre ; on sent une impression de tristesse, car ces lieux sont mornes et sans bruit, pas un chant d’oiseau ne vient troubler cette solitude. On continue ainsi pendant quelques minutes, l’âme se prépare ; puis la route se détourne subitement : alors se présente le spectacle le plus étonnant, le plus admirable et le plus effrayant que l’on puisse voir. Devant vous, rien… l’abîme, mille pieds de vide ! Les cheveux se hérissent, le courant d’air qui vous frappe le visage est si fort et si subit, que soit violence du vent, soit terreur involontaire, on se cramponne au rocher. Mais la nature est remplie de contrastes, à côté du terrible est le gracieux, comme le sourire après les pleurs. Au bas du gouffre s’étend une plaine ravissante, sillonnée de ruisseaux, tigrée çà et là de bouquets de Pandanus et