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DE CHIMIE AGRICOLE.

la plante, d’où vient que des récoltes énormes se succèdent sur un même champ sans en diminuer la matière ? comment peut-il se faire que dans le creux des rochers, des végétaux, parfois même de grands arbres, se développent comme sur une terre fertile ?

Pendant des siècles les hommes restèrent à côté de ces problèmes sans se les poser : c’est que jadis et en réalité jusqu’à Lavoisier, l’invariabilité de poids de la matière, cette notion qui, aujourd’hui, nous semble presque évidente, était absolument méconnue. On concevait très bien sans s’en étonner, que la petite plantule issue d’un gland donnât un chêne géant, alors même que la terre ne lui eût rien fourni. L’être vivant croissait, c’était sa destinée philosophique. La terre demeurait immuable, c’était aussi sa destinée ; quant aux variations de poids, qui donc s’en fût inquiété ?

On comprend que, dans ces conditions, l’intelligence des phénomènes agricoles fût bien difficile. On mettait du fumier, parce que le plus souvent on s’en était bien trouvé, mais on n’avait aucune idée de son rôle véritable : « Le fumier, disait Olivier de Serres, réjouit, réchauffe, dompte et rend aisées les terres. » Ce rôle thermique des engrais, qui est réel dans certaines cultures intensives, avait le plus frappé l’imagination des agronomes.

Dans ces ténèbres profondes, la chimie vint porter la lumière, en nous apprenant ce qu’est la plante et ce qu’est le sol. Aujourd’hui, nous savons que la matière de la plante ne peut venir que de la graine qui lui a donné naissance et du milieu où elle vit. Habituellement, ce milieu est la terre pour les racines, l’air pour la plante proprement dite. C’est donc de l’air et de la terre, de l’un ou de l’autre, ou bien de tous les deux, que la plante tire sa substance, dont le poids atteint parfois des millions de fois celui de la semence.

La chimie peut analyser n’importe quelle substance,