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d’où doit venir le secours ; je ne puis encore tourner mes regards qu’autour de moi, et je n’y vois plus cette personne qui m’a comblée de biens, qui n’a eu d’attention qu’à me donner tous les jours de nouvelles marques de son tendre attachement, avec l’agrément de la société. Il est bien vrai, monsieur, il faut une force plus qu’humaine pour soutenir une si cruelle séparation et tant de privations. J’étais bien loin d’y être préparée :1a parfaite santé dont je la voyais jouir, un an de maladie qui m a mise cent fois en péril, m’avaient ôté l’idée que l’ordre de la nature pût avoir lieu à mon égard. Je me flattais, je me flattais de ne jamais souffrir un si grand mal ; je le souffre, et le sens dans toute sa rigueur. Je mérite votre pitié, monsieur, et quelque part dans l’honneur de votre amitié, si on la mérite par une sincère estime et beaucoup de vénération pour votre vertu. Je n’ai point changé de sentiment pour vous depuis que je vous connais, et je crois vous avoir dit plus d’une fois qu’on ne peut vous honorer plus que je fais.

La comtesse de Grignan.


318. — DE M. LE COMTE DE GRGNAN À M. DE COULANGES.

À Grignan, le 23 mai 1696.

Vous comprenez mieux que personne, monsieur, la grandeur de la perte que nous venons de faire, et ma juste douleur. Le mérite distingué de madame de Sévigné vous était parfaitement connu. Ce n’est pas seulement une belle-mère que je regrette, ce nom n’a pas accoutumé d’imposer toujours ; c’est une amie aimable et solide, une société délicieuse. Mais ce qui est encore bien plus digne de notre admiration que de nos regrets, c’est une femme forte dont il est question, qui a envisagé la mort, dont elle n’a point douté dès les premiers jours de sa maladie, avec une fermeté et une soumission étonnante. Cette personne, si tendre et si faible pour tout ce qu’elle aimait, n’a trouvé que du courage et de la religion quand elle a cru ne devoir songer qu’a elle, et nous avons dû remarquer de quelle utilité et de quelle importance il est de se remplir l’esprit de bonnes choses et de saintes lectures, pour lesquelles madame de de Sévigné avait un goût, pour ne pas dire une avidité surprenante, de par l’usage qu’elle a su faire de ces bonnes provisions dans les derniers moments de sa vie. Je vous conte tous ces détails, monsieur, parce qu’ils conviennent à vos sentiments, et à l’amitié que vous