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bientôt passée, et nous trouverons bientôt le fond de notre sac de mille francs[1].

Vraiment vous me gâtez bien, et mes amies de Paris aussi : à peine le soleil remonte du saut d’une puce, que vous me demandez de votre côté quand vous m’attendrez à Grignan ; et mes amies me prient de leur fixer, dès à cette heure, le temps de mon départ, afin d’avancer leur joie. Je suis trop flattée de ces empressements, et surtout des vôtres, qui ne souffrent point de comparaison. Je vous dirai donc, ma chère comtesse, avec sincérité, que, d’ici au mois de septembre, je ne puis recevoir aucune pensée de sortir de ce pays ; c’est le temps que j’envoie mes petites voitures à Paris, dont il n’y a eu encore qu’une très-petite partie. C’est le temps que l’abbé Charrier traite de mes lods et ventes, qui est une affaire de dix mille francs : nous en parlerons une autre fois ; mais contentons-nous de chasser toute espérance de faire un pas avant le temps que je vous ai dit : du reste, je ne vous dis point que vous êtes mon but, ma perspective, vous le savez bien, et que vous êtes d’une manière dans mon cœur, que je craindrais fort que M. Nicole ne trouvât beaucoup à y circoncire ; mais enfin telle est ma dispo* sition. Vous me dites la plus tendre chose du monde, en souhaitant de ne point voir la fin des heureuses années que vous me souhaitez. Nous sommes bien loin de nous rencontrer dans nos souhaits ; car je vous ai mandé une vérité qui est bien juste et bien à sa place, et que Dieu sans doute voudra bien exaucer, qui est de suivre l’ordre tout naturel de la sainte Providence : c’est ce qui me console de tout le chemin laborieux de la vieillesse ; ce sentiment est raisonnable, et le vôtre trop extraordinaire et trop aimable.

Je vous plaindrai quand vous n’aurez plus M. de la Garde et M. le chevalier ; c’est une très-parfaitement bonne compagnie ; mais ils ont leurs raisons, et celle de faire ressusciter la pension d’un homme qui n’est point mort me paraît tout à fait importante. Vous aurez votre enfant qui tiendra joliment sa place à Grignan, il doit y être le bien reçu par bien des raisons, et vous l’embrasserez aussi de bon cœur. Il m’a écrit encore une jolie lettre pour me souhaiter une heureuse année : il me paraît désolé à Kaysersloutre ; il dit que rien ne l’empêche de venir à Paris, mais qu’il attend des ordres de Provence ; que c’est ce ressort qui le fait agir. Je trouve

  1. Madame de Sévigné comparait les douze mois de l’année à un sac de mille francs, qui finit presque aussitôt qu’on a commencé d’y puiser.