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Au reste, ma belle, nous ne sommes plus fâchés contre nos bons gouverneurs ; j’en suis ravie ; j’étais au désespoir qu’ils eussent tort. Il est certain, et tous nos amis en conviennent, que ce duc ne put pas dire un seul mot au roi, ni de Bretagne, ni de députadon, qui n’eût été mal placé ; Rome occupait tout. Il parla à M. de Lavardin, il a écrit au maréchal d’Estrées : madame de Chaulnes a dit à M. de Croissi tout ce qui se peut dire, et rien n’est plus aisé à comprendre que l’envie qu’ils avaient l’un et l’autre de réussir : mais nous n’y pensons plus ; et si, par hasard, la chose revenait à nous, elle nous paraîtrait miraculeuse. Ce n’est pas le plus grand mal que me cause la mort du pape : je suis véritablement affligée, quand je pense à la perte que vous allez faite par cette mort.

Je vous remercie, ma fille, de me mettre si joliment de votre société, en me disant ce qui s’y passe ; rien ne m’est si cher que ce qui vient de vous et de votre famille. Je vou« recommande votre belle santé, et de conserver votre jeunesse, et pour cause. Je suis fort aise de la goutte de M. de Grignan, j’en ris avec vous ; voilà une belle consolation pour un pauvre homme qui crie ; mais tout est moins mauvais que de méchantes entrailles. Dieu vous conserve tous ! mes compliments, mes amitiés, mes caresses où elles doivent être ; et pour vous, ma chère enfant, vous savez votre part, c’est moi tout entière.


296. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 12 octobre 1689.

Les voilà toutes deux ; mais, mon Dieu ! que la première m’aurait donné de violentes inquiétudes, si je l’avais reçue sans la seconde, où il paraît que la fièvre de ce pauvre chevalier s’est relâchée, et lui a donné un jour de repos ! Cela ôte l’horreur d’une fièvre continue avec des redoublements et des suffocations, et des rêveries, et des assoupissements, qui composent une terrible maladie. Quel sang ! quel tempérament ! quelle cruelle humeur dégoutte s’est jetée dans tout cela ! Quelle pitié que ce sang si bouillant, qui fait de si belles choses, en fasse quelquefois de si mauvaises, et rende inutiles les autres ! Enfin, voilà une grande tristesse pour vous tous, et pour vous particulièrement, dont le bon cœur vous rend la garde de tous ceux que vous aimez. Me voilà encore bien plus avec vous à Grignan, quoique j’y fusse beaucoup, parle redoublement d’intérêt que j’y prends depuis cette maladie. On est