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changée si j’avais pu. Cette manière de philosophie sauve de ma colère imprudente toutes les causes secondes, et fait que je me résigne en un moment sur tout ce qui arrive à mes amis ou à moi. Je dis la même chose de la fuite du roi d’Angleterre, avec toute sa famille. J’interroge le Seigneur, et je lui demande s’il abandonne la religion catholique, en souffrant les prospérités du prince d’Orange, le protecteur des prétendus réformés, et puis je baisse les yeux. Adieu, monsieur ; adieu, madame de Coligny, à qui je désire un fonds de philosophie chrétienne, capable de lui donner une parfaite indolence pour toutes les choses du monde : état capable de nous faire rois, et plus rois que ceux qui en portent la qualité.


278. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 10 janvier 1689.

Nous pensons souvent les mêmes choses, ma chère belle ; je crois même vous avoir mandé des Rochers ce que vous m’écrivez dans votre dernière lettre sur le temps. Je consens maintenant qu’il avance ; les jours n’ont plus rien pour moi de si cher, ni de si précieux ; je les sentais ainsi quand vous étiez à l’hôtel de Carnavalet ; je vous l’ai souvent dit, je ne rentrais jamais sans une joie sensible, je ménageais les heures, j’en étais avare : mais dans l’absence ce n’est plus cela, on ne s’en soucie point, on les pousse même quelquefois ; on espère, on avance dans un temps auquel on aspire ; c’est un ouvrage de tapisserie que l’on veut achever ; on est libérale des jours, on les jette à qui en veut. Mais, ma chère enfant, je vous avoue que quand je pense tout d’un coup où me conduit cette dissipation et cette magnificence d’heures et de jours, je tremble, je n’en trouve plus d’assurés, et la raison me présente ce qu’infailliblement je trouverai dans mon chemin. Ma fille, je veux finir ces réflexions avec vous, et tâcher de les rendre bien solides pour moi.

L’abbé Têtu est dans une insomnie qui fait tout craindre-. Les médecins ne voudraient pas répondre de son esprit ; il sent son état, et c’est une douleur : il ne subsiste que par l’opium ; il tâche de se divertir, de se dissiper ; il cherche des spectacles. Nous voulons L’envoyer à Saint-Germain pour y voir établir le roi, la reine d’Angleterre et le prince de Galles : peut-on voir un événement plus grand, et plus digne défaire de grandes diversions ? Pour la fuite du roi, il paraît que le prince {cV Orangé) l’a bien voulue. Le roi fut en-