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vérité, ma chère fille, voilà une jolie action, et d’une grande hardiesse ; et ce qui l’achève, c’est d’être retourné dans un pays où, selon toutes les apparences, il doit périr, soit avec le roi, soit par la rage qu’ils auront du coup qu’il leur vient de faire. Je vous laisse rêver sur ce roman, et vous embrasse, ma chère enfant, avec une sorte d’amitié qui n’est pas ordinaire.


274. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 29 décembre 1688.

Voici donc ce mercredi si terrible, où vous me priez de négliger un peu ma chère fille ; mais ignorez- vous que ce qui me console de mes fatigues, c’est de lui écrire et de causer un peu avec elle ? Je me souviens assez de Provence et d’Aix, et je sais assez le sujet que vous avez de vous plaindre de l’élection {des coîisuIs) qui fut faite le jour de Saint- André, pour approuver extrêmement que vous l’ayez fait casser par le parlement. J’ai vu le père Gaillard[1], qui en est fort aise ; il parlera à M. de Croissi, et fera renvoyer toute l’affaire à M. de Grignan. On ne saurait se venger plus honnêtement, et d’une manière qui doive mieux guérir et corriger de la fantaisie de vous déplaire. J’en fais mon compliment à M. Gaillard ; je suis vraiment flattée de la pensée d’avoir ma place dans une si honnêteté ; je ne saurais oublier ses regards si pleins de feu et d’esprit. Ne causez- vous pas quelquefois avec lui ?

Je comprends, ma chère enfant, cet ouvrage de deux mois, que vous avez à faire cet hiver à Aix ; il paraît grand et difficile, à le regarder tout d’une vue : mais quand vous serez en train d’aller et de travailler, étant tous les jours si accablée de devoirs et d’écritures, vous trouverez que, malgré l’ennui et la fatigue, les jours ne laissent pas de s’écouler fort vite. J’en ai passé de bien douloureux, sans compter les mauvaises nuits ; et cependant rien n’empêchait le temps de courir : ce qui est de vrai, c’est qu’au bout de trois mois, on croit qu’il y a trois ans qu’on est séparé. Si vous voulez m’en croire, vous demeurerez fort bien à Aix jusqu’à Pâques ; le carême y est plus doux qu’à Grignan. La bise de Grignan, qui vous fait avaler la poudre de tous les bâtiments de vos prélats, vie fait mal à votre poitrine[2], et me paraît un petit camp de Mainte

  1. Célèbre jésuite qui prenait part à cette affaire par rapport à M. de Gaillard son frère, homme de mérite et de beaucoup d’esprit.
  2. La mère ne pouvait exprimer plus laconiquement, ni avec plus d’énergie, le mal qu’elle souffrait quand elle craignait pour la poitrine de sa fille.