Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/572

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le petit d’Auvergne[1] est amoureux de la lecture ; il n’avait pas un moment de reposa l’armée, qu’il n’eût un livre à la main ; et Dieu sait si M. du Plessis et nous faisons valoir cette passion si noble et si belle ! Nous voulons être persuadés que le marquis en sera susceptible ; nous n’oublions rien, du moins, pour lui inspirer un goût si convenable. M. le chevalier est plus utile à ce petit garçon qu’on ne peut se l’imaginer ; il lui dit toujours les meilleures choses du monde sur les grosses cordes de l’honneur et de la réputation, et prend un soin de ses affaires, dont vous ne sauriez trop le remercier. Il entre dans tout, il se mêle de tout, et veut que le marquis ménage lui-même son argent ; qu’il écrive, qu’il suppute, qu’il ne dépense rien d’inutile : c’est ainsi qu’il tâche de lui donner son esprit de règle et d’économie, et de lui ôter un air de grand seigneur, de qu’importe, iï ignorance et tf indifférence, qui conduit fort droit à toutes sortes d’injustices, et enfin à l’hôpital. Voyez s’il y a une obligation pareille à celle d’élever votre fils dans ces principes. Pour moi, j’en suis charmée, et trouve bien plus de noblesse à cette éducation qu’aux autres. M. le chevalier a un peu de goutte : il ira demain, s’il peut, à Versailles ; il vous rendra compte de vos affaires. Vous savez présentement que vous êtes chevaliers de l’ordre : c’est une fort belle et agréable chose au milieu de votre province, dans le service actuel ; et cela siéra fort bien à la belle taille de M. de Grignan ; au moins n’y aura-t-il personne qui lui dispute en Provence, car il ne sera pas envié de monsieur son oncle[2] ; cela ne sort point de la famille.

La Fayette vient de sortir d’ici ; il a causé une heure d’un des amis de mon petit marquis : il en a conté de si grands ridicules, que le chevalier se croit obligé d’en parler à son père, qui est son ami. Il a fort remercié la Fayette de cet avis, parce qu’en effet il n’y a rien de si important que d’être en bonne compagnie ; et que souvent, sans être ridicule, on est ridiculisé par ceux avec qui on se trouve : soyez en repos là-dessus ; le chevalier y donnera bon ordre. Je serai bien fâchée s’il ne peut pas, dimanche, présenter son neveu ; cette goutte est un étrange rabat-joie. Au reste, ma fille, pensiez-vous que Pauline dût être parfaite ? Elle n’est pas douce dans sa chambre : il y a bien des gens fort aimés, fort estimés, qui ont eu ce défaut ; je crois qu’il vous sera aisé de l’en corriger ; mais gardez

  1. François-Égon de la Tour, dit le prince d’Auvergne.
  2. M. l’archevêque d’ Arles.