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Vous me dites mille amitiés sur la peine que vous auriez à me quitter, si j’étais à Paris ; j’en suis persuadée, ma très-aimable bonne ; mais cela n’étant point, à mon grand regret, profitez des raisons qui vous font aller à la cour ; vous y faites fort bien votre personnage ; il semble que tout se dispose à faire réussir ce que vous souhaitez. Les souhaits que j’en fais de loin ne sont pas moins sincères ni moins ardents que si j’étais auprès de vous. Hélas ! ma bonne, j’y suis toujours, et je sens, mais moins délicatement, ce que vous me disiez un jour, dont je me moquais : c’est qu’effectivement vous êtes d’une telle sorte dans mon cœur et dans mon imagination, que je vous vois et vous suis toujours : mais j’honore infiniment davantage, ma bonne, un peu de réalité.

Vous me parlez de votre Larmechin, c’est assez pour mon fils ; vous vous en plaignez souvent ; il est peut-être devenu bon ; parlezen à Beaulieu, et qu’il en écrive à mon fils, j’en rendrai de bons témoignages. Celui qu’il avait était bon, il s’est gâté ; il ne gagnerait que ses gages, quarante ou cinquante écus, point de vin, ni de graisse, ni de levure de lard. Je crois que mon fils ne plaindrait pas de plus gros gages pour avoir un vrai bon cuisinier ; je craindrais que celui-là ne fût trop faible. Mais, ma bonne, quelle folie d’avoir quatre personnes à la cuisine ! Où va-t-on avec de telles dépenses, et à quoi servent tant de gens ? Est-ce une table que la vôtre pour en occuper seulement deux ? L’air de Lâchait et sa perruque vous coûtent bien cher. Je suis fort malcontente de ce désordre ; ne sauriez-vous en être la maîtresse ? Tout est cher à Paris, et trois valets de chambre ! Tout est double et triple chez vous. Je vous dirai comme l’autre jour : Vous êtes en bonne ville ; faites des présents, ma bonne, de tout ce qui vous est inutile. N’est-ce point l’avis de M. Enfossy ? M. de Grignan peut-il vouloir cet excès ? Ma chère bonne, je ne puis m’empêcher de vous parler bonnement là-dessus. Après cette gronderie toute maternelle, laissez-moi vous embrasser chèrement et tendrement, persuadée que vous nêtes point fâchée. Ma bonne, il faut que votre mal de côté soit de bonne composition pour souffrir tous vos voyages de Versailles ; songez au moins que le maigre vous est mortel, et que le mal intérieur doit être ménagé et respecté. Bien des amitiés aux grands et petits Grignans. Je veux vous dire ceci. Vous croyez mon fils habile, et qu’il se connaît en sauces, et sait se faire servir ; ma bonne, il n’y eu-