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ce sont des médisances : et enfin M. Ferrand était dans tous mes sentiments, souvent à mes promenades, et ne m’a jamais dédite de rien. Que voulez-vous donc conter, monsieur le chevalier ? Mais vous, avec votre sagesse, votre bras vous fait-il toujours boiter ? Ce serait une chose cruelle d’être obligé de porter un bâton tout l’hiver. Et vous, madame la comtesse, pensez-vous que je n’aie point à vous gronder ? Vardes me mande que vous ne vous nourrissez pas assez, que vous mangez en récompense les plus mauvaises choses du monde, et qu’avec cette conduite il ne faut pas que vous espériez retrouver votre santé : voilà ses propres mots ; il ajoute que M. de la Garde s’en tourmente assez, mais que tout le reste n’ose vous contredire. Belle Rochebonne, grondez-la : j’aimerais mieux qu’elle coquetât avec M. de Vardes, comme vous me le mandez, que de profaner une santé qui fait notre vie à tous ; car vous voulez bien, madame, que je parle en commun sur ce chapitre. Que vous êtes bien tous ensemble ! que vous êtes heureux de trouver dans votre famille ce que l’on cherche inutilement ailleurs, c’est-à-dire la meilleure compagnie du monde, et toute l’amitié et la sûreté imaginable ! Je le pense et je le dis souvent, il n’y en a point une pareille. Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous demande la grâce de m’ aimer toujours ; je donne à ma fille le soin de vous dire comme je suis pour vous, et comme je vous trouve digne de toute la tendresse qu’elle a pour vous.

Il faut un peu que je vous parle, ma fille, de notre hôtel de Carnavalet. J’y serai dans un jour ou deux : mais comme nous sommes très-bien chez M. et madame de Coulanges, et que nous voyons clairement qu’ils en sont fort aises, nous nous rangeons, nous nous établissons, nous meublons votre chambre ; et ces jours de loisir nous ôtent tout l’embarras et tout le désordre du délo^Einent. Nous irons coucher paisiblement, comme on va dans une maison où l’on demeure depuis trois mois. N’apportez point de tapisserie, nous trouverons ici ce qu’il vous faut : je me divertis extrêmement à vous donner le plaisir de n’avoir aucun chagrin, an moins en arrivant[1]. Notre bon abbé m’a fait peur ; son rhume était grand ; une petite fièvre : je me figurais que si tout cela eût aug

  1. Madame de Sévigné prévoit que les chagrins que Mme de Grignan s’était forgés l’année précédente vont renaître. En effet, ces tourments de pure imagination ne tirent que s’accroître. Mme de Grignan arriva fin d’octobre à Paris, ou elle resta un an et dix mois, et retourna en Provence en septembre 1679.