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à vous voir ; c’est à vous à prendre vos mesures. Je voudrais que vous eussiez déjà conclu le marché de votre terre, puisque cela vous est bon. M. de Pomponne me dit qu’il venait d’en faire un marquisat ; je l’ai prié de vous faire ducs ; il m’assura de sa diligence à dresser les lettres, et même de la joie qu’il en aurait : voilà déjà une assez grande avance. Je suis ravie de la santé des Fichons ; le petit petit, c’est-à-dire, le gros gros est un enfant admirable ; je l’aime trop d’avoir voulu vivre contre vent et marée. Je ne puis oublier la petite[1] ; je crois que vous réglerez de la mettre à Sainte -Marie, selon les résolutions que vous prendrez pour cet été ; c’est cela qui décide. Vous me paraissez bien pleinement satisfaite des dévotions de la semaine sainte et du jubilé : vous avez été en retraite dans votre château. Pour moi, ma chère, je n’ai rien senti que par mes pensées, nul objet n’a frappé mes sens, et j’ai mangé de la viande jusqu’au vendredi saint : j’avais seulement la consolation d’être fort loin de toute occasion de pécher. J’ai dit à la Mousse votre souvenir ; il vous conseillé de faire vos choux gras vous-même de cet homme à qui vous trouvez de l’esprit. Adieu, ma chère enfant.


159. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 29 avril 1676.

Il faut commencer par vous dire que Condé fut pris d’assaut la nuit de samedi à dimanche. D’abord cette nouvelle fait battre le cœur ; on croit avoir acheté cette victoire ; point du tout, ma belle, elle ne nous coûte que quelques soldats, et pas un homme qui ait un nom. Voilà ce qui s’appelle un bonheur complet. Larrei, fils de M. Laîné qui fut tué en Candie, ou son frère, est blessé assez considérablement. Vous voyez comme on se passe bien de vieux héros.

Madame de Brinvilliers[2] n’est pas si aise que moi ; elle est en

  1. Marie-Blanche d’Adhémar.
  2. Marie-Marguerite Daubray, mariée en 1651 à N Gobelin, marquis de Brinvilliers ; elle était fille de M. Daubray, lieutenant civil au Chàtelet de Paris. Sa liaison avec Godin de Sainte-Croix l’entraîna dans des crimes qui ont attaché à son nom une affreuse célébrité. Elle fut déclarée atteinte et convaincue, par arrêt du 16 juillet 1676, d’avoir fait empoisonner M.Dreux-Daubray son père, Antoine Daubray, lieutenant civil, et M. Daubray, conseiller au parlement, ses deux frères, et d’avoir attenté à la vie de Thérèse -Daubray, sa sœur. Son complice Sainte-Croix périt victime de ses expériences. Ou