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148. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche Ier décembre 1675.

Voilà qui est réglé, ma très-chère, je reçois deux de vos lettres à la fois ; et il y a un ordinaire où je n’en ai point de vous : il faut savoir aussi la mine que je lui fais, et comme je le traite en comparaison de l’autre. Je suis comme vous, ma fille, je donnerais de l’argent pour avoir la parfaite tranquillité du coadjuteur sur les réponses, et pouvoir les garder dans ma poche deux mois, trois mois, sans m’inquiéter : mais nous sommes si sottes, que nous avons ces réponses sur le cœur ; il y ena beaucoup que je fais pour les avoir faites ; enfin c’est un don de Dieu que cette noble indifférence. Madame deLangeron disait sur les visites, et je l’applique à tout : Ce que je fais me fatigue, et ce que je ne fais pas m’inquiète. Je trouve cela très-bien dit, et je le sens. Je fais donc à peu près ce que je dois, et jamais que des réponses : j’en suis encore là. Je vous donne avec plaisir le dessus de tous les paniers, c’est-à-dire la fleur de mon esprit, de ma tête, de mes yeux, de ma plume, de mon écritoire ; et puis le reste va comme il peut. Je me divertis autant à causer avec vous que je laboure avec les autres. Je suis assommée surtout des grandes nouvelles de l’Europe.

Je voudrais que le coadjuteur eût montré cette lettre que j’ai de vous à madame de Fontevrault ; vous n’en savez pas le prix ; vous écrivez comme un ange ; je lis vos lettres avec admiration ; cela marche, vous arrivez. Vous souvient-il, ma fille, de ce menuet que vous dansiez si bien, où vous arriviez si heureusement, et de ces autres créatures qui n’arrivaient que le lendemain ? Nous appelions ce que faisait feu Madame, et ce que vous faisiez, gagner pays. Vos lettres sont tout de même.

Pour votre pauvre petit frater, je ne sais où il s’est fourré ; il y a trois semaines qu’il ne m’a écrit : il ne m’avait point parlé de cette promenade sur la Meuse ; tout le monde le croit ici : il est vrai que sa fortune est triste. Je ne vois point comme toute cette charge se pourra emmancher, à moins que Lauzun ne prenne le guidon en payement, et quelque supplément que nous tâcherons detrouver : car d’acheter l’enseigne à pur et à plein, et que le guidon nous demeure sur les bras, ce n’est pas une chose possible. Vous raisonnez fort juste sur tout cela.

J’achèverai ici l’année très-paisiblement ; il y a des temps où les lieux sont assez indifférents ; on n’est point trop fâchée d’être tris*