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Ne nie parlez point tant de vous aller voir ; vous me détournez de la pensée de tous mes tristes devoirs : si j’en croyais mon cœur J’enverrais paître toutes mes petites affaires, et je m’en irais à Grignan. Oh ! avec quelle joie je planterais tout là ! et pour quatre jours qu’on a à vivre, je vivrais à ma mode, et je suivrais mon inclination : quelle folie de se contraindre pour des routines de devoirs et d’affaires ! Eh, bon Dieu ! qui en sait gré ? Je ne suis que trop dans toutes ces pensées ; la règle n’est plus, à mon grand regret, que dans toutes mes actions ; car, pour mes discours, ils ont pris l’essor, et je me tire au moins de la contrainte d’approuver tout ce que je fais. Vos affaires règlent ma vie présentement, c’est tout ce qui me console. Je m’en vais courir en Bretagne pendant les vacances, et je serai de retour au mois de novembre, pour m’abandonner à toute la chicane que me prépare l’infidélité de M. de Mirepoix.

Dépit mortel, juste courroux.

Je m’abandonne à vous.


137. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 26 août 1675.

Je revins samedi matin de Livry ; j’allai l’après-dîner chez madame de Lavardin, qui vous a écrit un billet en vous envoyant une relation : cette marquise vous aime beaucoup, et vous lui répondrez sans doute, comme vous savez si bien faire ; elle s’en va de son côté, et d’Harouïs et moi du nôtre : les vacances de la chicane font partir bien des gens. La cour est partie ce matin pour Fontainebleau ; ce mot-là me fait encore trembler ; mais enfin on y va pour se divertir : Dieu veuille que nous ne soyons point assommés pendant ce temps-là ! Le siège de Trêves se pousse vivement : s’il y a quelque balle qui ait reçu la commission de tuer le maréchal de Créqui, elle n’aura pas de peine à le trouver, car on dit qu’il s’expose comme un désespéré.

M. le Prince est à l’armée d’Allemagne ; il a dit à un homme qui l’a vu depuis peu : « Je voudrais bien avoir causé seulement « deux heures avec l’ombre de IM.de Turenne, pour prendre la suite « de ses desseins, pour entrer dans ses vues, et me mettre au fait « des connaissances qu’il avait de ce pays, et des manières de peindre du Montecuculli. » Et quand cet homme-là lui dit : « Monseigneur, vous vous portez bien, Dieu vous conserve, pour l’amour