passage de l’Yssel[1], sous les ordres de M. le Prince, M. de Longueville a été tué ; cette nouvelle accable. J’étais chez madame de la Fayette quand on vint l’apprendre à M. de la Rochefoucauld, avec la blessure de M. de Marsillac et la mort du chevalier de Marsillac : cette grêle est tombée sur lui en ma présence. Il a été très-vivement affligé, ses larmes ont coulé du fond du cœur, et sa fermeté l’a empêché d’éclater. Après ces nouvelles, je ne me suis pas donné la patience de rien demander ; j’ai couru chez M. de Pomponne, qui m’a fait souvenir que mon fils est dans l’armée du roi, laquelle n’a eu nulle part à dette expédition ; elle était réservée à M. le Prince : on dit qu’il est blessé ; on dit qu’il a passé la rivière dans un petit bateau ; on dit que Nogent a été noyé ; on dit que Guitry est tué ; on dit que M. de Roquelaure et M. de la Feuillade sont blessés, qu’il y en a une infinité qui ont péri en cette rude occasion. Quand je saurai le détail de cette nouvelle, je vous la manderai. Voilà Guitant qui m’envoie un gentilhomme qui vient de l’hôtel de Condé ; il me dit que M. le Prince a été blessé à la main. M. de Longueville avait forcé la barrière, où il s’était présenté le premier ; il a été aussi le premier tué sur-le-champ ; tout le reste est assez pareil : M. de Guitry noyé, et M. de Nogent aussi[2] ; M. de Marsillac blessé, comme j’ai dit, et une grande quantité d’autres qu’on ne sait pas encore. Mais enfin l’Yssel est passé. M. le Prince l’a passé trois ou quatre fois en bateau, tout paisiblement» donnant ses ordres partout avec ce sang-froid et cette valeur divine qu’on lui connaît. On assure qu’après cette première difficulté on ne trouve plus d’ennemis : ils sont retirés dans leurs places. La blessure de M. de Marsillac est un coup de mousquet dans l’épaule, et un autre dans la mâchoire, sans casser l’os. Adieu, ma chère enfant ; j’ai l’esprit un peu hors de sa place, quoique mon fils soit dans l’armée du roi ; mais il y aura tant d’autres occasions, que cela fait trembler et mourir.
104. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
Il m’est impossible de me représenter l’état où vous avez été, ma chère enfant, sans une extrême émotion ; et, quoique je sache