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vous : je laissai l’autre jour retourner chez soi un carrosse plein de Fouesnellerie[1], par une pluie horrible, faute de les prier de bonne grâce de demeurer ; jamais ma bouche ne put prononcer les paroles qui étaient nécessaires. Ce n’étaient pas les deux jeunes femmes, c’était la mère et une guimbarde de Rennes, et les fils. Mademoiselle du Plessis est toute telle que vous la représentez, et encore un peu plus impertinente ; ce qu’elle dit tous les jours sur la crainte de me donner de la jalousie est une chose originale dont je suis au désespoir, quand je n’ai personne pour en rire. Sa belle-sœur est fort jolie, sans être ridicule en rien, et parle gascon au milieu de la Bretagne : j’en ai la même joie que vous avez de ma Languette, qui parle parisien au milieu delà Provence : cette petite basse Brette est fort aimable. Je vous trouve fort heureuse d’avoir madame de Simiane[2] ; vous avez avec elle un fonds de connaissance qui vous doit ôter toutes sortes de contraintes ; c’est beaucoup ; cela vous fera une compagnie agréable : puisqu’elle se souvient de moi, faites-lui bien mes compliments, je vous en conjure, et à notre cher coadjuteur. Nous ne nous écrivons plus, et nous ne savons pourquoi ; nous nous trouvons trop loin, cependant j’admire la diligence de la poste. La comparaison de Chilly[3] m’a ravie, et de voir ma chambre déjà marquée : je ne souhaite rien tant que de l’occuper ; ce sera de bonne heure l’année qui vient, et cette espérance me donne une joie dont vous comprendrez une partie par celle que vous aurez de m’y recevoir.

Je reviens encore à vous, c’est-à-dire à cette divine fontaine de Vaucluse : quelle beauté ! Pétrarque avait bien raison d’en parler souvent. Mais songez que je verrai toutes ces merveilles : moi, qui honore les antiquités, j’en serai ravie, et de toutes les magnificences de Grignan. L’abbé aura bien des affaires : après les ordres doriques et les titres de votre maison, il n’y a rien à souhaiter que l’ordre que vous y allez mettre ; car, sans un peu de subsistance, tout est dur, tout est amer. Ceux qui se ruinent me font pitié : c’est la seule affliction dans la vie qui se fasse toujours sentir également, et que le temps augmente au lieu de la diminuer. J’ai souvent des conversations sur ce sujet avec un de nos petits amis ; s’il veut pro

  1. La famille de Fouesnel habitait le château de ce nom, à quelques lieues des Rochers.
  2. Madeleine Hai-du-Chàtelet, femme de Charles- Louis, marquis de Simiane. Elle fut dans la suite belle-mère de Pauline de Grignan.
  3. Les châteaux de Chilly et de Grignan ont effectivement quelque rapport.