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le cœur me battit de colère et d’émotion, elle s’approcha ; comme vous savez, et me dit : Hé bien ! madame, êtes-vous bien fâchée ? — Oui, madame, lui dis-je ; on ne peut pas plus. — Ah ! vraiment je le crois ; il faudra vous aller consoler. — Madame, n’en prenez pas la peine, ce serait une chose inutile. — Mais, me dit-elle, n’ êtes-vous pas chez vous ? — Non, madame, on ne m’y trouve jamais. Voilà notre dialogue. Je vous assure qu’elle est débellée, comme dit Coulanges : il ne me semble pas qu’elle ait une langue présentement. Mais je veux revenir à mes lettres qu’on ne vous envoie point ; j’en suis au désespoir. Croyez-vous qu’on les ouvre ? croyez- vous qu’on les garde ? Hélas ! je conjure ceux qui prennent cette peine de considérer le peu de plaisir qu’ils ont à cette lecture, et le chagrin qu’ils nous donnent. Messieurs, du moins ayez soin de les faire recacheter, afin qu’elles arrivent tôt ou tard. Vous parlez de peinture : vraiment vous m’en faites une de l’habit de vos dames, qui vaut tout ce qu’une description peut valoir. Vous dites que vous voudriez bien me voir entrer dans votre chambre, et m’ entendre discourir. Hélas ! c’est ma folie que de vous voir, de vous parler, de vous entendre ; je me dévore de cette envie, et du déplaisir de ne vous avoir pas assez écoutée, pas assez regardée : il me semble pourtant que je n’en perdais guère les moments ; mais enfin, je n’en suis pas contente, je suis folle ; il n’y a rien de plus vrai ; mais vous êtes obligée d’aimer ma folie. Je necomprends pas comme on peut tant penser à une personne : n’aurai-je jamais tout pensé ? Non, que quand je ne penserai plus. Le billet de M. de Grignan est très-joli. Je lui ferai réponse, et je le prie de m’aimer toujours ; pour votre fille, je l’aime ; vous savez pourquoi et pour qui.


37. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 23 mars 1671.

Cela n’est-il pas cruel de n’avoir pas encore reçu vos lettres ? Voilà M. de Coulanges qui a reçu les siennes, et qui me vient insulter. Il m’a montré votre réponse à X ex-voto, qui est tellement à mon gré, que je l’ai lue deux fois avec plaisir. Ah ! que vous écrivez à ma fantaisie ! Cet ex-voto, qui fut fait au bout de la table où je vous écrivais, me réjouit fort, et me fit souvenir du jour que je fus si malheureusement pendue : vous souvient-il combien vous me fûtes cruelle ce jour-là ? Vous me condamnâtes sans miséricorde, et toute la sollicitation de d’Hacque ville ne put pas même