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1680 faut mieux ménager[1] les biens que la Providence nous prépare. Après vous avoir fait ce reproche, je veux vous avouer de bonne foi que je le mérite autant que vous, et qu’on ne peut être plus effrayée que je le suis de la rapidité du temps, ni plus sentir par avance les chagrins qui suivent ordinairement les plaisirs. Enfin, ma fille, c’est la vie toujours mêlée de biens et de maux : quand on a ce qu’on desire, on est plus près de le perdre ; quand on en est loin, on songe qu’on se retrouvera ; il faut donc tâcher de prendre les choses comme Dieu les donne : pour moi, je veux sentir l’aimable espérance de vous voir, sans aucun mélange.

Vous[2] êtes bien injuste, ma très-chère, dans le jugement que vous faites de vous ; vous dites que d’abord on vous croit assez aimable, et qu’en vous connoissant davantage on ne vous aime plus ; c’est précisément le contraire : d’abord on vous craint, vous avez un air assez dédaigneux, on n’espère point de pouvoir être de vos amis ; mais quand on vous connoît, et qu’on est à portée de ce nombre, et d’avoir quelque part à votre confiance, on vous adore et l’on s’attache entièrement à vous.[3] ; si quelqu’un paroît vous quitter, c’est parce qu’on vous aime, et qu’on est au désespoir de n’être pas aimé autant qu’on le voudroit : j’ai entendu louer jusqu’aux nues les charmes qu’on trouve dans votre amitié, et retomber sur le peu

  1. Lettre 855 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Il faut ménager autrement. » (Édition de 1754.)
  2. 2. La lettre, dans notre ancienne copie, commence à cet alinéa, qui est procédé des mots : « Et comme vous êtes ensemble. » Ces mots pourraient être la fin d’un morceau sauté par Perrin ; peut-être aussi y a-t-il une transposition dans le manuscrit.
  3. 3. « Mais quand on vous connoît, on vous adore, et l’on s’attache entièrement à vous. » (Édition de 1737.) « Mais quand on vous connoît, il est impossible qu’on ne s’attache entièrement à vous » (Édition de 1754.)