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tienne, chamarrée d’un brin d’anachorète, et sur le tout une tendresse infinie pour sa femme, dont il est aimé de la même façon, ce qui fait[1] en tout l’homme du monde le plus heureux, parce qu’il passe sa vie à sa fantaisie. Nous avons vingt fois parlé de vous avec amitié et avec un goût extrême, et dit vingt fois ; « Écrivons-lui, je le veux, je vous en prie ; » et sur le point de nous donner ce plaisir, un démon vient qui nous jette une distraction, et qui nous ôte cette bonne pensée. Que peut-on faire à ces sortes de malheurs, mon pauvre Monsieur ? peut-être connoissez-vous le chagrin d’avoir de bonnes intentions sans les exécuter.

Je crains que notre cher jaloux ne compte dans sa tête d’aller passer l’hiver avec vous : vous en serez bien aise, vous en rirez, et j’en pleurerai ; car c’est une si intime confiance, et une si véritable amitié, que celle que j’ai pour lui, qu’on ne peut perdre la présence d’un tel ami sans s’en apercevoir à tout moment ; mais M. de Vardes, qu’il est charmé de suivre, nous le ramènera comme il nous l’enlève. J’aime que cet attachement continue, vous y ferez fort bien, et je compte beaucoup pour notre ami le plaisir de vous revoir, et de se renouveler dans votre cœur. M. de Vardes ne m’a point assez conté ce que vous ne me dites point : rien n’est sûr que de l’écrire soi-même, comme vous voyez. Je ne vous écris pas souvent ; mais vous m’avouerez que quand je m’y mets, ce n’est pas pour peu.


  1. 7. Dans l’édition de 1773 : « et qui fait. »