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1685 que je ne me connoissois plus depuis des temps si funestes pour moi[1]. Elles tempèrent le sang, elles le purifient, elles rafraîchissent au lieu d’échauffer et de dessécher, comme vous vous l’imaginez ; mais il faut que ce soit de véritables vipères en chair et en os, et non pas de la poudre ; car la poudre échauffe, à moins qu’on ne la prenne dans de la bouillie ou de la crème cuite, ou quelque autre chose de rafraîchissant. Priez M. de Boissy[2] de vous faire venir dix douzaines de vipères de Poitou, dans une caisse séparée en trois ou quatre, afin qu’elles y soient bien à leur aise avec du son et de la mousse ; prenez-en deux tous les matins, coupez-leur la tête, faites-les écorcher et couper par morceaux, et en farcissez le corps d’un poulet : observez cela un mois, et prenez-vous-en à votre frère, si M. de Grignan ne redevient tel que nous le souhaitons tous. Quittez votre fade bouillie de riz, et redonnez des esprits et de la vie à un pauvre homme exténué, et dont le défaut est d’être trop sujet à dormir. Ma mère vous dira bientôt, et trop tôt, combien nous en parlons tous les jours ; vous l’allez revoir incessamment, et moi par conséquent je vais incessamment la perdre. Ce qui augmente mon chagrin, c’est que les états nous vont tellement confondre les espèces, que je ne pourrai profiter du temps qu’elle sera encore en Bretagne ; je ne compte que sur ce qui me reste entre ci et l’arrivée de M. et de Mme de Chaulnes ; car après cela, ma mère sera comme partie pour moi, quoiqu’elle soit encore aux Rochers. Je commence donc dès à présent à sentir la douleur des adieux et de l’absence. Adieu, ma belle petite sœur : votre belle-sœur vous fait mille tendres amitiés.

  1. 12. L’été de 1680. Voyez la lettre du 28 août 1680 (ci-dessus, p. 44), et plusieurs de celles qui la suivent.
  2. 13. Voyez tome VI, p. 495, note 29.